Il est des forces de caractère. Coraline Cartier est de celles-là. Du haut de ses 25 ans, elle reprend les rênes de la société de menuiserie-charpente créée il y a 102 ans à Hauteville-sur-Fier, à côté de Rumilly, par son arrière-grand-père, Eugène Cartier.
Charpente-menuiserie : une nouvelle génération à la tête de l'entreprise Cartier
Le 5 juin dernier, elle a signé le rachat de la totalité des actions de l'entreprise Cartier, via la création de sa holding, Coraline Invest. Si son père, Gilles Cartier, n'a jamais douté de sa capacité à relever le défi, la jeune femme avoue avoir été en proie à de réels questionnements.
"Je suis jeune, la fille du patron, unefemme dans le bâtiment. J'ai fait des études dans les affaires internationales et je n'ai pas d'expérience technique. Mais j'aime sortir de ma zone de confort, être maîtresse des décisions, je suis motivée, persévérante."
Et pleinement consciente de la charge qui lui incombe. "Il y a eu beaucoup de sueur, d'abnégation, de risques pris. C'est l'histoire de ma famille, un poids sur mes épaules car je n'ai pas envie que le château s'écroule."
L'entreprise Cartier, 102 ans d'histoire en Haute-Savoie
Au fil des générations, ses aïeuls ont bâti une entreprise à la solide réputation, employant à ce jour 20 salariés, dont des Compagnons et des apprentis. L'histoire débute "chichement" en 1921. Eugène s'installe à Hauteville-sur-Fier pour y démarrer une activité bois, accolée à une activité agricole pour subvenir à ses besoins.
Gilles le décrit comme un homme passionné, laborieux et investi. "Il a insufflé le sens du travail chez les Cartier. Il n'a pas eu une vie facile, a perdu sa femme jeune et dû s'occuper seul de ses deux enfants. Il est mort à 50 ans."
Par la force des choses, son fils Paul est propulsé à la tête de l'entreprise à l'âge de 22 ans. "Il nourrissait une passion extrême pour le bois. Il a monté sa propre scierie en fabriquant une scie battante et en allant chercher les matériaux au bord du Fier."
Dès 1983, l'ère de la structuration et de la modernisation pour l'entreprise Cartier
Sur les cinq enfants de Paul, c'est Gilles qui attrape le virus de la menuiserie-charpente. A 17 ans, il se forme en menuiserie-agencement au lycée professionnel de La Ravoire puis apprend la charpente à la Capeb et "sur le tas". Il démarre au bas de l'échelle et ne se pose "même pas la question" au moment de reprendre le flambeau.
En 1983, il crée une SARL. Sa gouvernance marque l'ère de la structuration, de la montée en puissance, de la modernisation de l'entreprise à travers moult investissements. Il divise l'entreprise en deux pôles, charpente et menuiserie, et élargit la gamme de services : menuiserie intérieure, extérieure, agencement, charpente, couverture, zinguerie, isolation, rénovation, agrandissement, travail du bois, de l'aluminium, du bois/aluminium, du PVC.
Il y a 24 ans, avec une dizaine d'entrepreneurs du secteur, Gilles Cartier fonde la coopérative ABR (artisans du bois réunis) pour maîtriser les achats, les prix, obtenir une meilleure qualité de services et dans un objectif d'entraide.
Des locaux plus grands et plus fonctionnels d'ici 2027
C'est aujourd'hui avec fierté qu'il transmet son savoir et accompagne sa fille dans cette phase de transition. Elle peut aussi compter sur le soutien financier et stratégique d'Initiative Grand Annecy dont elle est sortie lauréate.
Coraline entend développer la société familiale, "en prenant des risques mesurés au regard de la conjoncture". Les deux appels d'offres – l'un en charpente, l'autre en menuiserie – remportés pour entretenir et restaurer le patrimoine du département de la Haute-Savoie lui assurent déjà une visibilité à quatre ans, même si sa clientèle reste à 80 % composée de particuliers.
Le confinement a laissé des traces, ancré de nouvelles habitudes : les gens soignent particulièrement leur extérieur. Le marché des vérandas et pergolas a le vent en poupe et Coraline compte s'y engouffrer.
Le volume d'activité ne cessant de croître, l'entreprise n'a d'autre choix que de s'agrandir, de construire des locaux plus grands et plus fonctionnels et s'est donné la date butoir de 2027 pour y parvenir.
Dans l'idéal, l'entrepreneure aimerait pouvoir profiter du foncier de la future zone artisanale en création, attenante à son entreprise. Sinon elle se résoudra à chercher un autre endroit "dans la région". Coraline ne se voit pas ailleurs, enracinée à son territoire, "heureuse et fière" de poursuivre l'épopée familiale.