Les puristes de la construction passive ont pu être choqués par la réalisation de La Datcha, à Val Thorens (Savoie), gîte cinq étoiles conçu par Studio Arch, bâtiment certifié passif le plus haut d'Europe, culminant à 2 332 mètres d'altitude. Luxe et sobriété des usages, point central du concept, ne vont pas naturellement de pair.
Sylvain Chatz est pourtant convaincu du contraire. L'ingénieur en thermique des bâtiments, dirigeant du bureau d'études EnercoBat, à Cluses (Haute-Savoie), a accompagné le projet depuis ses débuts en 2012 jusqu'à sa livraison et certification en 2016. Et il aimerait voir ce type d'initiatives se multiplier.
Argument numéro 1 : construire passif coûte plus cher (+ 8% en moyenne) et les spécialistes du luxe ont les moyens de l'assumer, tout en conservant une rentabilité certaine. Argument numéro 2 : les acteurs de la haute montagne sont les premiers à subir les conséquences économiques du réchauffement climatique. Pour Sylvain Chatz, les élus des stations ont un grand rôle à jouer et pourraient imposer aux porteurs de projet de construire passif sur les terrains communaux qu'ils leur cèdent.
Un argument qui a permis à Kim Truong d'obtenir, de la part de la municipalité de Val Thorens, pour 400 000 euros, un terrain très bien situé, au pied des pistes, pour y construire un gîte cinq étoiles passif : la fameuse Datcha, appartenant désormais au banquier russe Oleg Tinkoff.
Gîte de luxe passif : une consommation d'énergie divisée par dix
Pour étudier la faisabilité de l'opération, Kim Truong a sollicité l'Asder, l'association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables. C'est ainsi que Sylvain Chatz, formateur à l'Asder, a hérité du dossier.
"Construire passif ne relève pas de la prouesse, l'idée étant de réaliser l'enveloppe la plus performante possible pour minimiser les besoins énergétiques. On emploie ce qu'il y a de mieux et de rodé, sans chercher la dernière technologie qui n'est pas encore éprouvée. On met systématiquement du triple vitrage, une VMC double flux, le reste relevant du détail de mise en œuvre : très bien traiter l'étanchéité à l'air et les ponts thermiques, en plus de prévoir une bonne isolation."
Pour autant, l'emplacement du programme en haute montagne imposait quelques contraintes. L'équipe de maîtrise d'œuvre a tablé sur une température de référence de -30°C pour dimensionner le système de chauffage. "Un bâtiment passif n'est pas un bâtiment sans chauffage mais possède de très faibles besoins. Le passif impose de ne pas dépasser les 10 W par m². Même si nous avions besoin de 15 kW pour chauffer 1 200 m², nous avons installé une chaudière granulés bois plus puissante pour que la température de la piscine puisse remonter en trois semaines", rappelle l'ingénieur.
Le poids de la neige et de la glace a nécessité une toiture en béton et non en structure légère plus facile à isoler : les gouttières ont été placées à l'intérieur de la maison ; vu le sol gorgé d'eau, au moment d'isoler les fondations, les matériaux ont dû être lestés au risque de flotter.
L'équipe a aussi composé avec des vents violents jusqu'à 120 km/h refroidissant le bâtiment et le fort ensoleillement, générant risques de surchauffe et d'éblouissement l'été.
"Nous avons placé des protections solaires dans les chambres et des vitrages de contrôle solaire qui limitent la prise de chaleur mais laissent passer la lumière dans l'espace de vie. Dans l'espace détente, comprenant la piscine et le spa, nous avons profité de la pompe à chaleur qui, en déshumidifiant l'endroit, le refroidit à moindre coût énergétique. Nous ne voulions pas mettre de climatisation ; un bâtiment de luxe consomme déjà beaucoup d'électricité", souligne Sylvain Chatz.
Après six ans d'exploitation, la Datcha tient toutes ses promesses en termes de confort et de consommation. Le bâtiment requiert dix fois moins d'énergie, possède une étanchéité à l'air quatre fois plus performante qu'en RT 2012 et des ponts thermiques divisés par cinq à dix. Sur les 7,2 millions d'euros d'investissement, le surcoût lié au passif s'élève à 450 000 euros, soit + 6%.
"Construire passif, ce n'est pas juste ajouter un bout d'isolant"
"Un bâtiment passif doit être pensé dès sa conception. Beaucoup commettent l'erreur de dessiner les plans d'abord. Construire passif, ce n'est pas juste ajouter un bout d'isolant. C'est assez contraignant dans la méthode de travail car le diable se cache dans les détails", insiste Sylvain Chatz.
C'est le message qu'il a fait passer en intervenant l'an dernier à Annecy, aux Rencontres immobilier hôtellerie montagne (RIHM), journée d'affaires réservée aux professionnels, en prenant la Datcha comme étude de cas.
Cette année, il remet le couvert en axant cette fois sa présentation sur le passif en rénovation, certes plus compliqué à mettre en œuvre et aux objectifs moindres, mais loin d'être dénué d'intérêt.
"Au lieu de viser 15 kWh par m² et par an en besoin de chauffage, on accepte 25. Sur l'étanchéité à l'air, on est moitié moins exigeant, mais tout de même deux fois plus efficace qu'en RT 2012. Il y a des fuites et des ponts thermiques en rénovation qu'on ne peut pas traiter au même niveau qu'en construction neuve, mais on impose les mêmes recettes sur les niveaux d'isolation, les menuiseries, la VMC double flux."
Avec l'apparition des nouvelles réglementations, Sylvain Chatz exhorte les copropriétés forcées d'engager des travaux de réhabilitation thermique à "aller au-delà de ce qu'impose aujourd'hui le législateur, qui ne met pas la barre très haut, pour ne pas avoir à y revenir dans 20 ans".
Les RIHM 2023 se tiendront jeudi 28 septembre, espace 55, à Annecy. Une édition consacrée cette année à la transition énergétique et aux solutions bas carbone. Plus d'informations : www.cosy-editions.com.