Le Lyonnais Arthur Brac de la Perrière, diplômé d'HEC, taillé pour les grands groupes, a finalement fait de la rénovation énergétique son combat de tous les jours. Il se traduit notamment via sa fonction de directeur général du réseau Dorémi, expert de la rénovation énergétique globale et performante des logements individuels.
Arthur Brac de la Perrière, qu'est-ce qui vous a poussé à quitter les rails d'une carrière toute tracée de cadre supérieur dans de grands groupes internationaux ?
La recherche de sens. J'ai toujours souhaité avoir une activité artisanale. Je vivais une frustration à force de faire du PowerPoint dans une logique très financière. J'avais besoin d'apprendre à travailler avec mes mains. Après mes études à HEC-Paris, j'ai travaillé six ans à la stratégie dans la bancassurance chez Allianz puis chez Mondial Assistance. Je suis venu au bâtiment pour l'impact écologique qui lui est associé. En France, en particulier, avec 40 % des consommations énergétiques qui proviennent du bâtiment. Et aussi pour l'impact social, avec des emplois non délocalisables et les valeurs de l'entrepreneuriat. J'ai appris le métier en me faisant embaucher dans une entreprise de plâtrerie-peinture, que j'ai reprise deux ans plus tard, et renommée Metiista ("artisan", en esperanto et au féminin, Ndlr). Nous avons fait grandir l'entreprise de 4 à 40 salariés. Je viens de laisser les rênes à la directrice générale Virginie Blaison, qui était déjà dans l'équipe.
Avec Dorémi, vous étendez votre impact écologique ?
Oui, avec Metiista, nous avons un impact local sur nos chantiers. Dorémi se déploie sur tout le territoire, emploie 55 personnes, réparties sur cinq agences : Villeurbanne, Paris, Blois/Centre-Val de Loire, Rennes, Bordeaux, et le siège à Valence.
"3 000 demandes par an" pour Dorémi
Quelles sont les principales missions de Dorémi ?
Dorémi est une entreprise de l'économie sociale et solidaire, de statut Esus. Nous réalisons beaucoup de chantiers puisque nous avons 3 000 demandes par an. Mais nous dispensons d'abord de la formation à la rénovation énergétique performante aux professionnels : entreprises de bâtiment, acteurs territoriaux des collectivités locales… Si l'on veut mettre de l'ambition dans la rénovation énergétique et atteindre un facteur quatre, c’est-à-dire diviser par quatre la consommation énergétique, il ne suffit pas de poser de la laine de verre et de changer des fenêtres. Il faut former les acteurs territoriaux qui conseillent et les entreprises qui mettent en œuvre.
Entre nous avec Arthur Brac de la Perrière
Son style de management : J'aime écouter et poser des questions, et j'aime trancher et décider.
Ses lectures : Bérézina de Sylvain Tesson. J'ai lu plusieurs livres de cet auteur, je lis aussi de la philo.
Son lieu ressourçant : j'ai deux lieux : le couvent de la Tourette, à Eveux, où je vais régulièrement effectuer un week-end de retraite pour dormir en cellule, et participer à des séminaires de réflexion. Et aussi l'institut boudhiste Karma Ling, dans les Alpes, pour la méditation.
Le problème de la déperdition énergétique vient pour beaucoup des pavillons individuels de conception des années 60-80…
On parle de sept millions de maisons individuelles représentant 10 % de la consommation d'énergie en France. L'isolation des maisons individuelles est un gisement d'énergie. C'est pourquoi l'association Negawatt a incubé le réseau Dorémi, pour massifier la rénovation énergétique performante.
Neutralité carbone : "Il faut de la volonté politique pour massifier"
Aujourd'hui, on n'est pas dans la massification ?
Non, mais on sait faire. Si on veut la neutralité carbone en 2050, on peut le faire. On peut d'ores et déjà réduire par quatre la consommation de presque toutes les maisons que l'on va traiter.
Que faut-il pour aller plus loin ?
De la volonté politique. Le président de Dorémi, Vincent Legrand, ne cesse de transmettre et de répéter notre plaidoyer pour la massification de la rénovation performante et globale, auprès des ministres, en l'occurrence Agnès Pannier-Runacher. Nous venons précisément de faire passer une lettre au gouvernement. Il faut simplifier les aides, sensibiliser les propriétaires, les accompagner et accompagner les entreprises du bâtiment. Le cheval de bataille de Dorémi, c'est la sobriété.
Dorémi est le chef d'orchestre du chantier de rénovation…
Tout à fait, il faut penser à l'isolation mais aussi à la ventilation double flux, faire fonctionner ensemble tous les métiers qui interviennent. Notre service technique à Valence trouve une solution quasiment dans toutes les situations.
Arthur Brac de la Perrière : "Dans une rénovation énergétique, on peut très vite atteindre 30 000 à 100 000 euros"
D'où émanent les demandes de rénovations énergétiques performantes ?
Elles viennent des particuliers via les artisans, les espaces France-Rénov, par bouche-à-oreille. La mission, c'est d'accompagner ces projets en mettant en contact les groupements d'entreprises que nous avons formés. On a un contrat de licence avec eux. Nous sommes accompagnateurs experts des entreprises. Quand un particulier décide de s'engager dans une rénovation énergétique, on peut très vite atteindre 30 000 à 100 000 euros pour un programme complet. On va décider du meilleur bouquet de travaux à réaliser pour la meilleure performance énergétique. Ensuite, on réalisera le test à l'étanchéité à l'air, c'est essentiel et ce n'est quasiment jamais réalisé.
En quoi le test d'étanchéité est-il si important ?
C'est essentiel, on fait le test de la porte soufflante avec un infiltromètre, on mesure le volume perdu par heure, pour mesurer la quantité de fuites d'air de la maison. Il faut surtout se poser les bonnes questions en amont. Si le façadier qui fait l'isolation par l'extérieur ne se concerte pas avec le menuisier qui change les fenêtres, cela ne sert à rien. On risque de se retrouver avec un défaut des jonctions, un pont thermique dans les embrasures.
30 à 100 000 euros de budget, c'est coûteux pour les ménages…
C'est là que les aides interviennent, mais les prêts à taux zéro fonctionnent très mal. Les banques ne jouent pas bien le jeu : trop de délais, trop de freins. C'est pourtant un outil génial, dans la mesure où l'on finance le prêt avec les économies sur une énergie qu'on n'a pas consommée. L'une des clés, c'est le phasage des travaux à réaliser en plusieurs tranches. Avec toutes les aides, on parvient à un reste à charge très faible pour les ménages. Plus de 40 % des chantiers se font chez des gens modestes et très modestes. C'est chez eux que l'on peut mobiliser le plus de volumes d'aides. En tant qu'artisan, j'ai réalisé un chantier sur une maison passoire thermique aux Minguettes à Vénissieux, chez une personne qui avait une petite retraite, et passait la moitié de ses revenus en énergie pour se chauffer. On a réussi à mettre toutes les aides bout à bout et à réaliser une rénovation performante. Au final, les factures d'énergie ont été divisées par quatre.
Une passoire thermique se vend elle encore ?
Justement, le meilleur moment pour faire des travaux, c'est lorsqu'il y a changement de propriétaires.
Vous avez publié un livre, L'Entrepreneur philosophe, vous avez encore le temps d'écrire ?
Un peu moins depuis que je suis chez Dorémi. Mon livre est paru il y a un an et demi. J'ai toujours un projet d'écriture en cours. Cette fois-ci, ce sera sous forme de roman, avec toujours la philosophie contemporaine en toile de fond. Je n'ai pas l'ambition ni la prétention de produire des concepts de philosophie. C'est plutôt un hobby, mais c'est crucial, c'est une façon de se poser des questions.
Les dates clés d'Arthur Brac de la Perrière
2002 : diplômé d'HEC Paris.
2009 : reconversion professionnelle dans les métiers du bâtiment.
2011 : création de l'entreprise Metiista.
2023 : arrivée chez Dorémi.