C'est un long processus que de changer les habitudes de travail et les mentalités. Astrid Magnin en est consciente, mais elle est déterminée.
Coordinatrice filière à la matériauthèque Enfin ! Réemploi de Chambéry, elle met toute son énergie dans la recherche de clients professionnels prêts à se lancer dans la démarche de l'utilisation de matériaux de construction de seconde main, aux côtés du directeur de site, Cyril Bouclainville. Initiative qui, si elle séduit les autoconstructeurs, peine encore à percer chez les professionnels.
Le secteur du BTP est le plus gros pourvoyeur de déchets en France. La France s'est dotée d'outils réglementaires pour les réduire et des initiatives en matière d'économie circulaire se sont mises à fleurir. En Savoie, un collectif composé de Kayak architecture, les Chantiers valoristes, Trialp, l'Ensam et Nantet locabennes est à l'origine d'Enfin ! Réemploi, créé en 2020.
Après deux ans d'expérimentation, le collectif s'est mué en association d'action sociale, financée par Savoie déchets, Grand Chambéry, Grand Lac, Coeur de Savoie, le mécénat de Patriarche, la Fondation Placoplatre et la Caisse d'Epargne. "Nous ne parlons plus de déchet. Quand un matériau arrive chez nous, il devient une ressource", martèle Astrid Magnin.
"Le réemploi ne coûte pas moins cher"
En 2022, la matériauthèque a rentré 98 tonnes de déchets, en a sorti 75 tonnes et a placé en déchetterie 1,5 tonne. Le reste demeurant au sein de la plateforme logistique. Un énorme entrepôt de 700 m2 complété par un espace extérieur de 300 m2 où l'on trouve des lavabos, luminaires, radiateurs, portes, lattes de parquets, isolants, de la quincaillerie, des faïences, des lauzes, des toilettes et même des bidets pour les amateurs.
La plateforme n'accepte pas tout : les volumes doivent être suffisants et les articles susceptibles de plaire. Ils proviennent de particuliers, sont issus de rebuts industriels, de fins de stock et liquidations. Les chantiers de déconstruction ou de rénovation lourde constituent une manne précieuse.
Au-delà de 1 000 m2 de surface plancher, les bailleurs sociaux ou promoteurs doivent engager un diagnostic pour connaître le potentiel valorisable ou réemployable. Enfin ! Réemploi y fait son marché. Tout ce qui rentre est requalifié.
Ma Palette, la matériauthèque pour (éco)construire
La matériauthèque, un lieu vivant
"Le réemploi ne coûte pas moins cher", prévient la coordinatrice filière. C'est une opération blanche pour toutes les parties. Ce qui est gagné en coût déchetterie est transféré en coût humain au moment de la déconstruction. Même constat pour le client de la plateforme : la matière y est environ 50 % moins chère qu'en magasin, mais il convient souvent de la retravailler, d'y ajouter des pièces. Et de faire preuve de créativité, en mélangeant les séries issues du stock.
Une démarche engagée que le maître d'ouvrage et l'équipe de maîtrise d'oeuvre doivent être prêts à accepter. A travers son pôle de transformation bois, la matériauthèque est en train de concevoir des composteurs pour Grand Lac à base de lattes de sommiers. Aucune ne se ressemble, mais le tout compose un résultat harmonieux.
Une satisfaction pour les 10 salariés en insertion qui apprennent, sous la houlette d'un encadrant technique, deux ans durant, le métier de caissier, cariste, logisticien, à requalifier la matière et la base de la menuiserie. Un plaisir partagé par les particuliers invités à venir bricoler au sein de l'atelier bois le mercredi. "Nous voulons faire de cet endroit un lieu de vie. Si les gens passent la porte, ils deviennent convaincus", glisse Astrid Magnin.